vendredi 29 août 2008

« Barack is beautiful » : la folle semaine démocrate

Moment de gloire hier soir pour un Barack Obama enfin sacré, rage de vaincre pour un parti démocrate qui doit toujours panser ses plaies et faire croire à l’unité, folie des grandeurs pour une semaine de convention qui s’est close hier soir au stade d’Invesco Field à Denver, Colorado, devant une foule extatique de 80 000 personnes. Retour sur les temps forts, les choix du parti et le programme des semaines à venir.

La fureur de vaincre :les caciques du parti croisent le fer sur une scène de velours
Tapis rouge et paillettes, discours élogieux et clips hagiographiques à la gloire du candidat Obama, la convention démocrate s’est close hier soir et les secrets de polichinelle et autres jeux de dupes laissent place aux décisions stratégiques pour mener le camp démocrate à la victoire. Mais sous les acclamations de rigueur, les quatre jours de convention ont aussi mis au jour les tensions au sein du parti.
Oui, Barack Obama est officiellement le candidat démocrate pour le poste de 44ème président des Etats-Unis depuis le vote des délégués mercredi. Oui, c’est historique et la date de son discours d’acceptation qui fera date n’est pas anodine : le 28 août 1963, le révérend Martin Luther King prononçait son célèbre discours " I have a dream " et des centaines de milliers d'Américains, noirs pour beaucoup, marchaient sur Washington pour l’avancement de leurs droits civiques. 45 ans plus tard, jour pour jour, le premier candidat métisse à une telle fonction a donc prononcé son discours d’acceptation. Sous des hourras et des vivas aux accents du " yes we can ", le slogan obamanien, le jeune sénateur a prononcé un discours plein d’audace et d’espoir, galvanisant, rassurant et offensif à la fois.
Oui, le " Billary show " a fonctionné à plein et le camp Clinton s’est enfin ouvertement rallié à sa cause cette semaine, Hillary demandant même un vote à l’acclamation mardi, au beau milieu du comptage des voix : "dans un esprit d’unité, qui a pour seule visée la victoire, déclarons ensemble, d’une seule voix, ici et maintenant, que Barack Obama est notre candidat " avait-elle dit, interrompant le " roll-call " officiel. Après près de deux ans de combat sans merci, des primaires contestées jusqu’au bout à couteaux tirés, même Bill est monté sur scène pour promouvoir celui qui l’avait implicitement taxé de racisme et qui n’avait pas fait son maximum pour aider sa femme à éponger ses dettes suite à sa défaite aux primaires…il n’assista pour autant pas au discours de clôture d’obama hier…un discours qui n’était pas sans rappeler son illustre prédécesseur, JFK.
Mais rien n’est joué et le candidat républicain compte bien, lui aussi, célébrer un anniversaire : le sien ! Né le 29 août 1936, ce septuagénaire fringuant pourrait bien être la bête noire du camp démocrate. Il espère bien en tout cas que leurs divisions les privera de la remontée dans les sondages qui suit traditionnellement une convention. Car " l’unité " martelée tout au long de la semaine à Denver n’est que de façade. Les Clinton ? Obama préfère en effet se situer dans la lignée des Kennedy. Caroline, la fille de JFK et Ted, son frère, bien que luttant contre un cancer, sont d’ailleurs venus le soutenir dans des discours élogieux. Quant aux supporters d’Hillary, pas moins de 30% prétendent qu’ils voteront pour McCain et, fait plus inquiétant, ces chiffres n’évoluent pas les semaines passant, ils empireraient même à la faveur du candidat républicain… L’annonce tant attendue du colistier a-t-il pu effacer pour un temps ces clivages ?

Joe biden : le faux vrai bon choix ?
Pas vraiment : au soir de son investiture comme " numéro 2 ", mercredi, le moins que l’on puisse dire est que le discours de Biden n’a pas suscité l’enthousiasme que Hillary avait su inspirer la veille, malgré l’apparition surprise d’Obama himself à la fin de son discours (sa première apparition sur la scène de Denver depuis le lancement de la convention lundi). Fatigue dans les rangs après trois jours harassants ou inquiétude plus profonde quant à ce choix de " running mate " ? Seuls 6% des délégués de la convention voulaient en tout cas de Biden comme co-listier, ambiance…
Candidat plus classique mais choix ô combien stratégique, il a pour principale mission d’être le porte-voix des attaques les plus virulentes à l’égard de McCain. Celui qui avait été l’un des adversaires d’Obama pendant les primaires a aussi l’avantage d’être son parfait complément et peut lui faire gagner les voix qui lui manquent tant : celles des électeurs blancs de la classe moyenne et ouvrière. Mais dans un sondage du 24 août conduit par le polling report, 74% des Américains ont affirmé que le choix de Biden " ne fera guère de différence " dans leur vote du 4 novembre, seulement 15% d’entre eux déclarant que ça les incitera à voter Obama. Et Biden a beau assurer comme leitmotiv que " Barack saura rendre l’Amérique plus sûre et restaurer sa réputation sur la scène mondiale ", les sondages sont dans ce domaine toujours à l’avantage du républicain. Un sondage CNN publié mercredi indiquait que l’opinion publique américaine créditait McCain de 78% de points à la question de sa capacité à " exercer les fonctions de " commandeur-en-chef ", contre 58% pour le démocrate. 52% verraient le premier gérer une crise internationale contre 43% pour Obama. Les républicains sauront jouer sur ces faiblesses : mardi, alors qu’Obama venait d’être officiellement élu candidat par les délégués démocrates, McCain se fendait d’un mot de félicitations de rigueur, ponctué d’un plus amer : " j’attends avec impatience le combat entre mon expérience, mon savoir et mon sens du jugement et [son] manque d’expérience ". C’est dans ce contexte que s’ouvrira lundi la convention républicaine à St Paul dans le Minnesota et McCain espère bien lui aussi faire de ce show traditionnel à l’américaine, un moment fort de sa campagne.
Le ticket " Obama-Biden " sait en tout cas à quoi s’en tenir et sur quel front ils doivent dorénavant mener campagne . " United we stand ", c’est la devise de l’Amérique, le nouveau credo du parti démocrate ?

mercredi 6 août 2008

Raymond Carver, une poésie désenchantée du réel

Il y a vingt ans, le 2 août 1988, disparaissait l’un des plus grands auteurs américains du vingtième siècle, Raymond Carver.
Emporté par un cancer du poumon à 50 ans à peine, cet immense écrivain, romancier et poète assez méconnu en France, a surtout marqué la littérature américaine contemporaine par ses nouvelles, véritable bible pour tout aspirant auteur qui chercherait le réalisme . Le cinéaste Robert Altman disait de lui : " du prosaïque, Carver faisait de la poésie. Un critique a écrit qu’il révélait l’étrangeté cachée derrière le banal. Mais ce qu’il faisait, en fait, c’était de capturer les idiosyncrasies merveilleuses des comportements humains qui existent au milieu du grand hasard des expériences de la vie ".
Car s’il a souvent été comparé à Tchekhov, un auteur qu’il vénérait, le genre littéraire bien particulier qu’est la nouvelle a trouvé ses maîtres outre-Atlantique, d’immenses prédécesseurs tels que Poe, James ou Hemingway. L’art du récit court, de la narration condensée, du dénouement abrupt et surprenant, voire déstabilisant, son écriture sans concessions aux fioritures littéraires surprend au début par son caractère sec, ramassé, par son style abrupt (maître de la parataxe, de l’absence de guillemets qui permettent aux dialogues de se diluer dans le récit) , sa prose simple en apparence simpliste mais à la construction parfaite : " si vous pouvez enlever des mots, allez-y, élaguez, élaguez, élaguez encore ! " était l’une de ses devises en tant que professeur.

Une poétique de la solitude, de la quête existentielle et de la perte d’identité
Souvent décrit comme un auteur minimaliste, il avait fait sienne la " théorie de l’iceberg " d’Hemingway, pour qui seul un huitième avait besoin d’être révélé au lecteur, les sept-huitièmes restant demeurant sous les profondeurs. Son réalisme décrit la vie de gens ordinaires dont les existences désespérément communes cachent néanmoins des blessures secrètes, des cassures aux failles insondables. Souvent en proie à la séparation, à une vie familiale en perdition, à l’alcool, à la misogynie et à l’échec d’une vie professionnelle frustrante et insatisfaisante, ses personnages sont des anti-héros en quête de sens, des personnages dont on ne sait presque rien et à la profondeur pourtant abyssale, abîmés par la vie et sans réel avenir. C’est là le paradoxe de son style, le génie de sa création.
Attention, pas de sentimentalisme néanmoins dans son œuvre. S’il peut être présenté comme un portraitiste d’une American way of life en déliquescence, et pourrait être comparé au peintre Edward Hopper, la psychologie des personnages ne l’intéresse absolument pas, la critique sociale encore moins. D’où l’universalisme de son œuvre, ces personnages abandonnés à un monde réel déprimant et sans issue, mais qu’une écriture de l’omission laisse à chacun de ses lecteurs une possibilité de libre interprétation pour tenter de combler ces vides souvent angoissants, pour accepter cette " inquiétante étrangeté " qui nous envahit à la lecture de ses lignes.
Librement adapté au cinéma, par Robert Altman dans son film choral Short Cuts basé sur une dizaine de nouvelles et plus récemment par Ray Lawrence dans Jindabyne, Australie (une transposition de la nouvelle So much water So close to Home) sorti cette année en France, Carver est également une bonne introduction pour un lecteur français qui voudrait commencer à lire des textes en anglais (le site www.granta.com/extracts/574 permet de lire gratuitement la nouvelle Vitamins). Pour ceux qui ne seraient pas tentés par l’aventure, il est publié en français en édition poche : Les vitamines du bonheur, Tais-toi je t’en prie, Parlez-moi d’amour, Neuf histoires et un poème qui reprennent les nouvelles utilisées par Altman pour Short Cuts

Hit the road, Barack ! Obama à la rencontre des Américains…et du reste du monde

Son tour des Etats-Unis ressemblait déjà à une tournée de rock star : le 9 juillet à New York, le 11 à Kansas City, le 16 à Chicago …Barack Obama avait promis au début des primaires de se rendre dans chacun des 50 états d’Amérique pour aller " à la rencontre des Américains ". Mission presque accomplie avec 49 états parcourus en 18 mois, seul l’Alaska manquant pour l’instant à l’appel (il a promis de s’y rendre, une fois élu président !). Parcours décidément aussi ambitieux qu’impressionnant pour cet ancien enfant métisse qui a passé son enfance à Hawaii et en Indonésie et n’avait pas posé les pieds sur le continent avant ses onze ans. S’il est certes de coutume pour un aspirant président de sillonner le pays, le candidat démocrate avait prévu des arrêts hautement stratégiques, des états-clé que les démocrates n’ont pas remporté depuis des années comme le Montana, la Virginie, le Nord Dakota ou encore la Caroline du Nord dont est pourtant issu un ancien favori démocrate, John Edwards. Des bastions ouvriers, blancs, surtout qui avaient massivement soutenu Hillary Clinton au cours des primaires.

" Sur la route ", c’est donc le programme marathon que ce quadra énergique à l’ascension fulgurante et si prometteuse s’est imposé ; Il a démarré ce week-end sa tournée mondiale à Kaboul où il a rencontré le président afghan Hamid Karzai, l’Afghanistan (tout comme le Pakistan) étant le lieu où l’Amérique doit concentrer ses efforts dans la guerre contre le terrorisme. A Bagdad, lundi (son dernier voyage en Irak remontait à janvier 2006) il a à nouveau réaffirmé son intention de retirer la majorité des troupes américaines en 2010, fort du soutien du premier ministre irakien Nouri Al-Maliki et a renouvelé ses critiques face à une administration Bush qui s’est trompée de cible en visant l’Irak. But clairement affiché : se présenter comme un " commander-in-chief " plausible, un leader de stature internationale et mettre un terme aux accusations quant à son jeune âge (il aura 47 ans dans deux semaines) et sa relative inexpérience (il n’est sénateur " que " depuis quatre ans s’offusquent les républicains !)

Dans les pas de JFK
Pas de visite dans la petite ville japonaise d’Obama officiellement prévue mais bien d’autres " nouvelles frontières " à franchir pour ce jeune candidat, un vrai changement là encore, alors même que George Bush s’était vanté de ne connaître que le Mexique et le Canada avant d’être élu président…
Après le Moyen-orient, Israël et la Jordanie aujourd’hui et mercredi, Obama mettra le cap sur l’Europe : outre la Grande-Bretagne et la France (vendredi), sa visite est très attendue en Allemagne, à Berlin jeudi. Quelque peu contreversée aussi depuis qu’Obama a été invité par le maire de la ville à s’exprimer à la porte de Brandebourg, là-même où Kennedy avait prononcé son célèbre discours " Ich bin ein Berliner " il y a 45 ans. Choix contesté par certains Allemands, dont la chancellière Angela Merkel, qui rétorquent qu’un leader européen en campagne n’irait pas prononcer un discours devant la Maison Blanche ! Reste que si l’intention de ce " world tour " est tout à fait louable, cruciale même diront certains pour une Amérique qui doit se réconcilier avec le reste du monde, Obama ne prend là néanmoins pas de gros risques : sa cote de popularité en Europe est exceptionnelle (74% des Anglais, 82%des Allemands et 84% des Français le préféreraient à McCain, selon le centre de recherches Pew ), le planning et l’ordre du jour des visites a été finement calibré par son équipe de campagne et la répercussion médiatique qui en ressortira ne lui sera que bénéfique (les trois présentateurs vedette des chaînes de télévision CBS, ABC et NBC ont d’ailleurs embarqué à bord de son Boeing…)
De retour aux Etats-Unis la semaine prochaine, Obama repartira en tout cas avec la même vigueur politique, le même enthousiasme de " natural born orator " à la conquête de ceux qui pourraient le placer à la tête de la première puissance mondiale…

Destination finale : Denver, Colorado
Dernière date pour la tête d’affiche démocrate : la convention du parti démocrate à Denver, capitale du Colorado, le 28 août prochain, jour officiel du lancement de sa campagne présidentielle et, bonus symbolique, jour du 45ème anniversaire du tout aussi historique discours de Martin Luther King " I have a dream ". En choisissant pour son discours d’intronisation le stade d’Invesco Field, 75 000 places, il marche, là encore, dans les pas de son père, politique, en étant le premier depuis Kennedy à faire le choix d’un lieu immense hors de la " convention hall " (JFK avait attiré plus de 50 000 personnes au Memorial Coliseum de Los Angeles pour son discours d’investiture en 1960). Le but est double : outre la résonance médiatique à l’effet garanti (la couverture télévisée d’un tel événement sera à la hauteur de la symbolique à l’œuvre), il s’agit aussi d’envoyer un message d’ouverture aux électeurs, le lieu choisi pour la convention (le Pepsi Center) ne pouvant accueillir que 20000 personnes, les ténors du parti en grande majorité. Il espère aussi, une fois encore, faire sensation comme pour son rassemblement phénoménal de Portland, Oregon, en mai dernier lorsqu’il avait enflammé une foule galvanisée de 75 000 personnes (son plus gros meeting de campagne à ce jour). Sa tournée européenne et au Moyen-Orient lui aura en tout cas donné la stature internationale qui lui faisait jusque là défaut…