lundi 15 juin 2009

interview en version intégrale

Alaa El Aswany à Toulouse, ville rose… pourpre du Caire

Interview réalisée le 12 juin dans le cadre de la 5ème édition du « Marathon des Mots » de Toulouse (retranscription intégrale)


Marie Brunerie :
Bonjour Alaa El Aswany, merci infiniment d’avoir accepté cette interview pour nous. Je voudrais commencer par une question toute simple : qu’est-ce qui vous a poussé à venir au Marathon des Mots, ce deuxième festival littéraire français ?

Alaa El Aswany :
Alors c’est pas la première fois, en fait, mes livres sont traduits en 27 langues alors je reçois beaucoup d’invitations et je dois vraiment choisir, j’ai besoin de mon temps, je dois rester chez moi pour écrire mon nouveau roman mais je comprends très bien que ça c’est un festival vraiment très efficace. Mon expérience avec le festival la dernière fois était très positive. Et j’ai pas mal d’expérience avec les festivals parce que vous pouvez avoir un festival qui est très grand ou qui paie très bien les romanciers mais vous y allez et vous vous rendez compte que vous ne faites rien en fait…

MB : on signe des ouvrages, on fait des dédicaces…

A E.A. : mais ici il y a toujours cette rencontre, une vraie rencontre avec les gens, avec les écrivains qui viennent d’autres pays avec nous alors j’ai décidé de venir et je suis content d’être ici!

MB : alors on vous présente toujours comme l’héritier, le fils spirituel littéraire de Naguib Mahfouz, d’ailleurs vous mentionnez « l’impasse des deux palais »- alors est-ce un hommage, à trois ou quatre fois dans votre dernier recueil J’aurais voulu être égyptien, est-ce que ce serait plutôt le Naguib Mahfouz de la Trilogie ou bien plutôt des Mahfouz des Fils de la Médina ?

A E.A. : alors ça c’est un très grand honneur pour moi et c’est un très grand honneur pour n’importe quel écrivain arabe, Naguib Mahfouz est l’un des romanciers que je considère comme les plus grands de l’époque…

MB : Prix Nobel de littérature…

A E.A. : Prix Nobel de littérature et j’ai aussi des raisons personnelles parce que moi je connaissais Naguib Mahfouz, c’était un ami de mon père qui était écrivain…alors vraiment j’étais inspiré par lui, j’étais inspiré par sa fidélité pour la littérature et par sa grande personne, vous voyez, moi j’ai appris à travers Naguib Mahfouz que l’on ne peut pas être un grand écrivain, moi je n’ai jamais vu de grand écrivain qui n’était pas une grande personne, très modeste, très ouverte pour les gens, j’essaie vraiment d’appliquer la leçon si vous voulez.

MB : et d’ailleurs Les fils de la Médina avait été interdit malgré l’intervention de Nasser et je me permets de faire un petit parallèle avec ce que vous expliquez vous-même dans la préface de J’aurais voulu être égyptien, cette intervention quasi ubuesque de l’Office du livre qui vous a demandé d’écrire un désaveu de votre main et finalement vous l’avez publié à compte d’auteur ! Et de la même manière l’adaptation de votre livre au cinéma, L’Immeuble Yacoubian, vous aviez été interdit de l’avant-première au Caire , est-ce que ce parallèle vous paraît justifié, est-ce que les auteurs sont censurés ?

A E.A. : oui. Les résultats sont les mêmes mais la manière est totalement différente parce que le régime de Nasser, c’est quelque chose que l’on ne sait peut-être pas très bien ici en Occident, était très « méchant » avec les gens qui avaient des idées politiques contre le régime mais en même temps il était très tolérant avec la culture, alors si vous écrivez des romans comme Naguib Mahfouz, il a écrit des romans contre l’Egypte mais ça a été publié dans le journal le plus connu du monde arabe. Après une permission personnelle de Nasser, il n’était pas contre la culture, il était et ça c’est un grand sujet peut-être, il s’est senti obligé d’essayer d’éloigner les gens qui s’opposaient au niveau politique mais au niveau culturel il était très tolérant. Ce qui s’est passé avec moi, il y a beaucoup d’éléments, il y a la bureaucratie parce que j’ai essayé d’être publié par mon gouvernement mais le gouvernement en Egypte publient les gens qui sont pour le gouvernement. Et aussi il y a la bureaucratie, la corruption…

MB : que vous dénoncez d’ailleurs en filigrane, je sais que vous n’aimez pas bien le parallèle que l’on peut faire, ce que vous appelez cette espèce d’ « amalgame » entre ce qu’un écrivain écrit dans ses livres, c’est-à-dire ce que l’auteur écrit et ce que l’écrivain lui-même pense. Néanmoins c’est présent dans L’Immeuble Yacoubian, c’est présent évidemment dans votre dernier ouvrage, J’aurais voulu être égyptien, on sent bien cette dénonciation de la corruption, du népotisme, de l’affairisme etc…

A E.A. : oui. On écrit parce qu’on n’est pas content, on écrit parce qu’on n’est pas d’accord, et c’est toujours comme ça la littérature parce qu’un écrivain s’il est d’accord, s’il voit que tout est parfait alors il n’aura plus besoin d’écrire, vous voyez…

MB : est-ce que votre père est toujours en vie, est-ce qu’il a pu voir votre succès d’écrivain, lui-même étant effectivement écrivain.

A E.A. : malheureusement non, il est décédé quand j’avais 19 ans mais il est toujours avec moi, ça c’est une question que j’aime parce que c’est une question très humaine en fait. Avec tout le succès que j’ai, je ne peux pas, j’ai toujours mon père avec moi, je pense que en un sens il peut vraiment voir ce que j’ai maintenant et je suis sûr qu’il sera content.

MB : et est-ce que vous considérez parmi la jeune génération d’écrivains, ou pas nécessairement la jeune d’ailleurs, mais que vous-même vous auriez des fils spirituels parmi les auteurs actuels égyptiens?

A E.A. : j’essaie d’aider et j’ai l’honneur de présenter pas mal de jeunes écrivains et aussi je pense qu’on a vraiment beaucoup de talents mais le problème c’est que parallèlement à la dictature politique, on a eu une dictature littéraire et pendant 20 ans il y avait dix hommes, par exemple qui décidaient de tout dans le domaine culturel en Egypte. Maintenant ça n’existe plus alors on s’est libérés au plan culturel et j’espère qu’on va se libérer sur le plan politique !

MB : je voudrais faire un parallèle avec les Etats-Unis où vous avez vécu pour vos études en médecine dentaire, où vous avez écrit d’ailleurs votre thèse en histologie sur « le pouvoir de la vision », alors ça littérairement évidement c’est…

A E.A. : ah vous connaissez tout ! [rires] c’est remarquable !

MB : c’est gentil ! J’aurais plusieurs questions, est-ce que vous vous sentiriez une proximité littéraire, affective, élective avec des auteurs comme Philip Roth ou Jeffrey Eugenides qui a publié Middlesex, sur cette idée de cosmopolitisme, peut-être un parallèle même entre l’Egypte et les Etats-Unis et ses livres « choraux » comme on appelle ça qui à la base de plusieurs personnages décrivent une société toute entière ?

A E.A. : oui, tout à fait, je lis en fait la littérature en quatre langues, le Français, l’Espagnol, l’Anglais et l’Arabe et j’ai été construit par la littérature française parce que j’ai appris le français et l’arabe quand j’étais enfant au Lycée français du Caire et on eu un programme très efficace en littérature mais la littérature américaine, les grands écrivains sont toujours ce qu’on appelle en anglais « counter-culture », contre-culture, ce qui n’est pas nécessairement le cas en France. En France vous n’êtes pas content avec ce qui se passe mais vous n’êtes pas « contre-culture », vous voyez…même Hemingway ne tolérait même pas de vivre en Amérique, vous avez Arthur Miller, vous avez James Baldwin…

MB : et Kerouac, évidemment…

A E.A : oui, c’est toujours comme ça. Moi je comprends car j’ai vécu en Amérique. C’est la culture la plus efficace mais si on est vraiment littéraire, on ne peut le tolérer car c’est vraiment, c’est une culture du chiffre, très pratique…

MB : le marketing littéraire…

A E.A. : tout à fait. Alors moi je pense que les plus grands écrivains de l’Amérique étaient vraiment contre la culture américaine.

MB : oui et j’ai une question littéraire sur la traduction de votre dernier livre en anglais par : Friendly Fire : ten tales of today’s Cairo, alors c’est cette question de short story writer, d’écrivain de nouvelles, pourquoi ont-ils fait le choix de ce titre ? Est-ce que c’est parce que les lecteurs américains sont plus ouverts à cette culture de la nouvelle qui n’est pas très développée en France ?

A E.A. : c’est pas ça, c’est que j’ai utilisé un terme américain qui a été utilisé par l’armée américaine pour la première fois dans la deuxième guerre du Golfe, et c’était quand les soldats américains se tuaient on disait qu’ils avaient été tués par un « friendly fire » et ça m’a inspiré parce que je me suis demandé : c’est quoi un « friendly fire » ? Si ça tue comment ça peut, euh…

MB : oui c’est un doux oxymore, un bel oxymore !

A E.A. : [rires] alors moi j’ai mis ce titre en arabe et en anglais et j’ai un grand traducteur qui est Gilles Gauthier et il m’a dit que le terme ne serait pas aussi puissant en français…

MB : on n’a pas la référence culturelle…

A E.A. : c’est ça, « feux amis », ou « tirs amicaux « ou « tirs amis », les 3 , j’ai trouvé que vraiment c’était faible et ce qui est très intéressant c’est que les Italiens ont copié le titre français et je pense qu’en Allemagne ils vont copier le titre français aussi !

MB : d’accord. Alors pour rester aux Etats-Unis avez-vous, par hasard, eu la chance de compter parmi les 3000 auditeurs de Barack Obama à l’Université du Caire la semaine dernière ?

A E.A. : Oui, et j’ai même écrit mon article hebdomadaire dans mon journal qui va être traduit un article avec le titre « pourquoi les Egyptiens aiment Obama ? »

MB : et quelle est votre réponse ?

A E.A. : parce que on aime… j’étais dans la salle et il y avait des gens très différents : il y avait derrière moi les Frères Musulmans et devant moi il y avait des actrices de cinéma ! Alors je me suis dit c’est incroyable !

MB : ah oui, le spectre total ! C’est l’ « ouverture » d’Obama !

A E.A. : et les deux groupes ont eu la même réaction, ils applaudissaient toujours au même moment…

MB : parce que c’est un leader charismatique ou c’est le discours qui les convainquait ?

A E.A. : c’est exactement ce que j’ai essayé de répondre dans mon article, on a aimé Obama en Egypte pour des raisons personnelles et pour ce qu’il représente : il est très charismatique, très éduqué, beaucoup plus éduqué que son prédécesseur George Bush, il est noir alors il ne peut pas être raciste, jusqu’à dix ans il a eu une éducation islamique …

MB : en Indonésie…

A E.A. : en Indonésie, alors il était bien au niveau personnel, très attirant. Et aussi il représente quoi ? Ça veut dire quoi un président noir ? ça veut dire une ouverture, une opportunité pour tous les gens, pour l’égalité, si vous travaillez bien …

MB : la méritocratie anglo-saxonne !

A E .A : oui et c’est exactement ce qu’on n’a pas en Egypte !

MB : absolument, c’est ce qu’on ressent dans vos ouvrages en tout cas !

A E.A. : Alors c’est pour ça qu’on aime Obama en Egypte, parce qu’il représente exactement ce qui nous manque !

MB : alors vous faites dire par votre narrateur de la première nouvelle de J’aurais voulu… « Celui qui s’est approché et qui a vu » : « je suis tombé captif de l’Occident ». Vous-même avez vécu aux Etats-Unis, encore une fois, est-ce que vous pourriez faire cette phrase vôtre avec les mêmes distinctions que l’on a bien établies tout à l’heure entre le narrateur et l’écrivain, l’homme ? Est-ce que vous seriez tombé « captif » ?

A E.A. : non… je pense que tomber amoureux de l’Occident n’est pas bien, vous avez lu le roman, vous avez vu, mon personnage a des problèmes, il n’est pas équilibré à la fin, et moi je pense que ma formule est meilleure car je ne peux pas dire que l’Occident est le seul élément dans ma structure, vous voyez, c’est pas que je suis tombé amoureux; j’ai eu une éducation française, l’élément occidental existe toujours mais ça ne m’a pas m’empêché d’être fier d’être Arabe..

MB : et de retourner vivre en Egypte…

A E.A. : Tout à fait, tout à fait, c’est mes racines, ma terre. Je pense que c’est exactement cette formule dont on a besoin et pas la formule émotionnelle de tomber amoureux parce que à la fin, vous avez vu comment ça s’est passé avec ce personnage !

MB : oui et comme souvent d’ailleurs dans vos nouvelles ou dans vos romans, ça se termine souvent finalement assez mal, par un goût doux amer je trouve…

A E.A. : je suis désolé ! [rires] je ferai mieux la prochaine fois ! [rires]

MB : mais c’est toujours un régal de vous lire !..

A E.A. : merci ! [rires]

MB : est-ce que vous pensez que le fait de vivre en Egypte c’est plus efficace pour dénoncer presque de l’intérieur la société égyptienne parce que vous avez quand même des mots très crus par le biais encore une fois de vos personnages et de ce qu’ils disent ; vous dénoncez par exemple dans J’aurais voulu…: « l’arbitraire, la corruption et l’hypocrisie de la société égyptienne », c’est une citation littérale, et vous parlez également des « égyptiens léthargiques que nous sommes », cette espèce de léthargie et de passivité qui n’a rien à voir avec ce que nous, occidentaux, nous concevons, nous imaginons, nous rêvons de l’Egypte des pharaons, vous établissez bien le fait que vous n’avez plus rien à voir avec les Egyptiens des temps lointains.

A E.A. : Oui, mon personnage du roman n’a pas compris et il commence dans le roman par des insultes contre l’Egypte et ça ce n’est pas une opinion objective mais c’est un mode psychologique, que je peux comprendre et il n’était pas capable de voir la différence, moi je suis contre ce qui se passe en Egypte mais je suis absolument pour l’Egypte et pour les Egyptiens ! Je suis le contraire de lui, je suis fier d’être égyptien ! 100% ! Pour moi c’est une découverte que quand je suis ailleurs je sens toujours que je suis une personne qui me ressemble…

MB : c’est à l’étranger que vous trouvez votre identité.

A E.A. : tout à fait.

MB : parce qu’il y a un autre personnage, la jeune Bessaouïna dans L’immeuble Yacoubian , une jeune femme de milieu très modeste et qui elle-même exprime ce rejet d’être égyptienne, elle n’a même plus envie d’être égyptienne et vous dénoncez, ou plutôt vous dites que vous ne faites pas du tout vôtre cette citation de Kemal « Si je n’avais pas été égyptien, j’aurais voulu être égyptien », vous dites mais c’est absurde, tout en aimant évidemment votre pays !

A E.A. : je ne suis pas contre cette phrase parce que je comprends pourquoi il a dit cette phrase. Il a dit cette phrase parce qu’il y avait un grand combat où on était un pays dans l’empire turc et c’était vraiment son rôle de convaincre les Egyptiens que nous avons une identité indépendante des Turcs…
MB : pour réaffirmer la fierté nationale…

A E.A. : tout à fait. Alors il devait dire cette phrase mais aujourd’hui la situation est totalement différente.

MB : et vous dénoncez toujours, dans L’Immeuble… surtout, la façon dont se pratique l’avortement, les condamnations liées à l’homosexualité, dans Le factotum, par exemple, cette excellente nouvelle, vous dénoncez encore une fois l’arbitraire, ce jeune médecin qui n’arrive à ses fins, professionnellement parlant, que par on ne sait pas trop quelle entourloupe mais on la devine évidemment assez aisément donc vous dénoncez à nouveau cette corruption, cette société assez intolérante et puis on sent l’emprise grandissante- alors vous évoquiez tout à l’heure les Frères de l’Islam qui étaient à l’Université du Caire pour boire les paroles d’Obama, aussi paradoxalement que ça puisse paraître!- et on sent bien cette prégnance, cette influence grandissante et j’imagine quelque peu effrayante ou angoissante de l’Islam radical dans la société égyptienne…

A E.A. : oui, ça c’est un grand sujet parce que L’islam –et Obama a dit ça car il connaît bien l’Islam- peut être interprété de différentes manières. On a eu une interprétation égyptienne de l’Islam qui a été très tolérante et progressiste, c’est pour ça que notre société civile a commencé très tôt, au 19ème, le parlement, la femme a été libérée, il y avait les élections et tout…

MB : avant certains pays européens, même, les suffragettes c’était après !

A E.A. : oui, la femme égyptienne a voté très tôt, on a commencé le cinéma avant l’Amérique ! Pourquoi, parce que notre interprétation de l’Islam n’était jamais une barrière mais était mais tolérante : vous faites ce que vous voulez !

MB : mais ça change aujourd’hui…

A E.A. : il y a un combat en fait, entre notre interprétation et le Wahhabisme…

MB : l’influence de l’Arabie saoudite…

A E.A. : tout à fait, contre les femmes, contre la démocratie, contre tout…Alors moi je dis toujours qu’il y a deux combats en Egypte : le combat le plus visible c’est le combat pou la démocratie ; il y a un autre combat, parallèle, qui est moins visible et qui n’est pas moins important, contre l’intolérance, entre l’interprétation égyptienne et l’interprétation wahhabite, saoudite qui est catastrophique. Moi je suis dans les deux combats…

MB : ils se nourrissent, s’enrichissent…

A E.A. : tout à fait.

MB : je voudrais revenir puisque nous n’avons plus beaucoup de temps sur votre thèse d’histologie, sur ce « pouvoir de la vision », vous vous rappelez j’imagine son titre exact ?

A E.A. : J’ai étudié le calcium radioactif, le calcium 45, les scientifiques comprendront ! ([descriptif technique !]…) alors j’ai appris quelque chose qui était très utile pour moi dans la vie et dans l’écriture, c’est que la vérité est relative au pouvoir de vision…

MB : au regard que l’on porte sur les choses…

A E.A. : parce que si on utilise un microscope de 10 000, l’ordinaire, vous allez voir quelque chose mais si on change à 100 000 vous allez voir autre chose..

MB : le regard change la réalité…

A E.A. : tout à fait. Le pouvoir de vision…

MB : c’est vraiment la littérature au microscope, Zola !

A E.A. : tout à fait !

MB : et vous y revenez d’ailleurs souvent, même dans les titres de vos nouvelles, Celui qui s’est approché et qui a vu, Madame Zita Mendès, une dernière image, puis la dernière nouvelle intitulée Un regard sur le visage de Nagui…alors on est en plein dedans ! Et je voudrais revenir sur votre préface, entre cette prétention à l’universalisme que l’on pourrait tirer d’un ouvrage littéraire et précisément ce pouvoir de la vision, et donc de la description d’une société, alors comment vous vous placez par rapport à ça ? Est-ce que ce n’est qu’une description de personnages donnés, en un lieu donné, dans une société donnée, donc un campus américain pour Chicago ou la ville du Caire dans L’Immeuble Yacoubian, ou bien est-ce que vous avez cette prétention à grossir le microscope ?

A E.A. : alors je pense que, comme d’habitude, c’est une question très intéressante, dans la littérature il y a deux éléments : ce qu’on appelle en anglais le « now element » , le maintenant, ce qui se passe, la situation sociale , la situation de la femme, la démocratie. C’est le moins important car l’élément le plus important dans la littérature c’est l’élément humain, et c’est ça qui donne à la littérature sa puissance. Madame Bovary, par exemple, le « now element » n’existe plus, c’est le 19ème, ça n’existe plus en France, mais l’élément humain reste…

MB : Madame Bovary est totalement atemporelle…

A E.A. : tout à fait et moi j’ai connu des lectrices égyptiennes, non francophones, qui ne sont jamais allées en France …

MB : et qui se sont identifiées !

A E.A. : absolument ! C’est ça la grande littérature ! [rires]

MB : c’est ça la clef ! L’identification du lecteur à son personnage…

A E.A. : tout à fait [rires]…

MB : une dernière question, pour clore cette interview, vous m’avez dit tout à l’heure en introduction que vous étiez en train d’écrire votre quatrième ouvrage, c’est un roman, des nouvelles ?..

A E.A. : c’est un roman, très différent, qui se passe en Egypte pendant les années 40, j’essaie de ne pas me répéter mais on sait jamais, je dis toujours qu’il y a beaucoup de points communs entre l’expérience d’écrire un roman et une histoire d’amour…on ne peut pas décider d’avoir une histoire d’amour…

MB : cela vient à vous, c’est un appel, un appel littéraire ?..

A E.A. : exactement ! [rires]

MB : et vous continuez votre métier de dentiste, vous trouvez le temps ?

A E.A. : depuis 2003 je vois mes patients deux fois par semaine seulement mais je garde ça pour garder le fil avec les gens…

MB : pour garder le fil, le contact avec la société ?

A E.A. : absolument, avec les clients qui deviennent mes amis, on boit le café. Exactement, c’est très utile non seulement pour moi comme romancier mais comme être humain, d’avoir ces contacts…

MB : merci infiniment, Alaa El Aswany !

A E.A. : non, c’est moi, c’était très intéressant, merci à vous !

lundi 25 mai 2009

photos de la "Nuit américaine" à SciencesPo

Cliquez sur ce titre pour découvrir le reportage photo black & white de Gilles Vidal pour une élection définitivement blue!

vendredi 15 mai 2009

Articles 2009

Politique américaine: Deux éléphants dans un magasin de porcelaine
Littérature: Raymond Carver, une poésie désenchantée du réel
Société: L'inquiétude gagne à la fac du Mirail

dernière "une" pour Rue89

Le "terrain", y'a qu'ça d'vrai! article en "une" du 13 mai 2009.