mercredi 6 août 2008

Raymond Carver, une poésie désenchantée du réel

Il y a vingt ans, le 2 août 1988, disparaissait l’un des plus grands auteurs américains du vingtième siècle, Raymond Carver.
Emporté par un cancer du poumon à 50 ans à peine, cet immense écrivain, romancier et poète assez méconnu en France, a surtout marqué la littérature américaine contemporaine par ses nouvelles, véritable bible pour tout aspirant auteur qui chercherait le réalisme . Le cinéaste Robert Altman disait de lui : " du prosaïque, Carver faisait de la poésie. Un critique a écrit qu’il révélait l’étrangeté cachée derrière le banal. Mais ce qu’il faisait, en fait, c’était de capturer les idiosyncrasies merveilleuses des comportements humains qui existent au milieu du grand hasard des expériences de la vie ".
Car s’il a souvent été comparé à Tchekhov, un auteur qu’il vénérait, le genre littéraire bien particulier qu’est la nouvelle a trouvé ses maîtres outre-Atlantique, d’immenses prédécesseurs tels que Poe, James ou Hemingway. L’art du récit court, de la narration condensée, du dénouement abrupt et surprenant, voire déstabilisant, son écriture sans concessions aux fioritures littéraires surprend au début par son caractère sec, ramassé, par son style abrupt (maître de la parataxe, de l’absence de guillemets qui permettent aux dialogues de se diluer dans le récit) , sa prose simple en apparence simpliste mais à la construction parfaite : " si vous pouvez enlever des mots, allez-y, élaguez, élaguez, élaguez encore ! " était l’une de ses devises en tant que professeur.

Une poétique de la solitude, de la quête existentielle et de la perte d’identité
Souvent décrit comme un auteur minimaliste, il avait fait sienne la " théorie de l’iceberg " d’Hemingway, pour qui seul un huitième avait besoin d’être révélé au lecteur, les sept-huitièmes restant demeurant sous les profondeurs. Son réalisme décrit la vie de gens ordinaires dont les existences désespérément communes cachent néanmoins des blessures secrètes, des cassures aux failles insondables. Souvent en proie à la séparation, à une vie familiale en perdition, à l’alcool, à la misogynie et à l’échec d’une vie professionnelle frustrante et insatisfaisante, ses personnages sont des anti-héros en quête de sens, des personnages dont on ne sait presque rien et à la profondeur pourtant abyssale, abîmés par la vie et sans réel avenir. C’est là le paradoxe de son style, le génie de sa création.
Attention, pas de sentimentalisme néanmoins dans son œuvre. S’il peut être présenté comme un portraitiste d’une American way of life en déliquescence, et pourrait être comparé au peintre Edward Hopper, la psychologie des personnages ne l’intéresse absolument pas, la critique sociale encore moins. D’où l’universalisme de son œuvre, ces personnages abandonnés à un monde réel déprimant et sans issue, mais qu’une écriture de l’omission laisse à chacun de ses lecteurs une possibilité de libre interprétation pour tenter de combler ces vides souvent angoissants, pour accepter cette " inquiétante étrangeté " qui nous envahit à la lecture de ses lignes.
Librement adapté au cinéma, par Robert Altman dans son film choral Short Cuts basé sur une dizaine de nouvelles et plus récemment par Ray Lawrence dans Jindabyne, Australie (une transposition de la nouvelle So much water So close to Home) sorti cette année en France, Carver est également une bonne introduction pour un lecteur français qui voudrait commencer à lire des textes en anglais (le site www.granta.com/extracts/574 permet de lire gratuitement la nouvelle Vitamins). Pour ceux qui ne seraient pas tentés par l’aventure, il est publié en français en édition poche : Les vitamines du bonheur, Tais-toi je t’en prie, Parlez-moi d’amour, Neuf histoires et un poème qui reprennent les nouvelles utilisées par Altman pour Short Cuts

1 commentaire:

j.elbé a dit…

la langue française telle que tous les normaliens devraient la pratiquer, et quel style ! bravo madame pour cet article qui aurait largement sa place dans toute publication , de Libération au Nouvel Observateur, et même ....
et en outre , çà vous donne envie de découvrir cet auteur !